Textes
Des grands classiques, des moins connus, des inédits...
Nous sommes les chevaliers des temps modernes... Dans les flammes du feu qui dansent sur les remparts de la citadelle, soudain s’ouvre le livre des souvenirs. Le vin qui coule à flot réjouit les cœurs et ravive l’amitié, dénomination séculière de Dame Charité.
Viennent les chants, d’abord entraînants puis graves. Les regards se croisent évoquant le passé qui n’est que le nom que chacun donne à l’Histoire. Convoqués par les mâles voix, les morts ressuscitent. Ceux qui sont tombés regardent du balcon du Ciel ceux qui restent et tous, l’espace d’un instant, soufflant sur les braises de la mémoire au rythme des mélopées chevaleresques, se souviennent. C’était il y a quelques années maintenant. Dans la moiteur d’un été de plomb, débarquant en Acre, deux chevaliers posaient le pieds en Terre Sainte. Terre depuis longtemps à eux promise. L’un par son père qui l’avait reçu pour la première fois dans ses bras à son retour de Croisade. L’autre par ses frères du Temple. Animés tous deux du souffle commun qui avait fait vivre Maurice, Sébastien, Martin, Clovis ou Roland, ils s’étaient préparés dans l’obscurité des journées banales à vivre l’exaltation au service du Christ. Bercés des échos des batailles qu’on livrait en terre lointaine pour la défense du tombeau du Seigneur, leurs cœurs brûlants du feu des combats, ils s’étaient naturellement trouvés sur le bateau en partance de la terre des Francs. D’autres jeunes descendants de preux de la nouvelle tribu de Judas s’étaient joints à cette équipée pour former l’un des plus fiers escadrons qui aient fait trembler ce bas monde en mirant leurs écus dans le soleil, subjuguant la foudre elle-même. Devant tous rejoindre Jérusalem, ils avaient fait route ensemble. Lors de ce chemin initiatique vers la Ville Sainte, en prémices du grand pèlerinage de leur vie, bien des fois le Sang du Christ était venu se mêler en eux au sang des Francs contractant de nouveau l’Alliance sainte d’Abraham, Isaac et Jacob, de David et Salomon, des Macchabées enfin, indomptables guerriers. Ils chevauchèrent longtemps à travers la Palestine, mettant pied à terre là où les saints Évangiles leur indiquaient un endroit que le Sauveur du monde avait gratifié de l’empreinte de ses pas. Comme leur Maître, croissant en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes, nourris aux sources des sacrements et de la discipline militaire, ils avaient rejoint l’ost de Baudouin IV. On y manquait cruellement d’hommes et par-dessus tout de désintéressement. Chacun rallia le suzerain auquel le liait l’allégeance de son père. Le fils du Temple rejoignit le monastère des Pauvres Chevaliers du Christ. Ils connurent maints combats auprès du petit roi lépreux. Ils chargèrent au côté de leurs frères de Saint Lazare, les chevaliers lépreux, escadrons de la mort semant la terreur chez les ennemis de la Croix, promenant partout avec eux la promesse de malédiction qui frappera les suppôts de l’Enfer. Ils avaient vu en eux les membres souffrants du Corps Mystique. Au gré des étincelles jaillissant du brasier, surgissait le fracas des armes, le dernier regard d’un frère d’armes, le sang versé pour garder cette terre, pour tenir le limes de la Chrétienté. La légende arthurienne convoquée à l’assemblée de l’Ordre du Temple, les Castillans de Saint Jacques fraternisaient avec les chevaliers noirs de la Prusse orientale, les preux du Septentrion et de l’Occident joignaient leurs voix dans la mélodie des héros devenue le chant des morts, les prétoriens narraient les exploits des Francs sur cette terre qui vit la légion d’acier verser le Sang d’un Dieu. Mais c’est jour de fête. Point n’est permis de s’appesantir sur un passé sombre. C’est même jour de mariage. L’un de ces chevaliers en effet, vient d’épouser une princesse arabe. Promesse des temps nouveaux qui s’annoncent là où, à l’ombre des forteresses, les jeunes poulains, peuple nouveau de ces royaumes surgis du néant, prendront la place de leurs pères et porteront le glaive pour défendre la terre dont furent tirées leurs mères. Ces jeunes seigneurs alliant l’invincible puissance des Francs et l’altière noblesse arabe ont des victoires à narrer, prédisant aux époux le plus radieux avenir. Le soleil de Montgisard éclaire la nuit champenoise. Il en est ainsi de la gloire des hommes comme des étoiles ; qu’elle continue de luire bien longtemps après que la voix du glaive se soit tue. Se lève alors l’un de ces vieux templiers à la barbe blanchie sous le heaume. L’un de ceux qui n’est pas encore parvenu à laisser ses os en cette terre tant aimée, à donner sa vie pour Noble Dame Jérusalem. Alors, de ses souvenirs embrumés par la poussière des chemins et la nuée des batailles, renaissent les souvenirs. Les chevaux arabes, les oriflammes, la Sainte Croix. Toute l’assemblée des rêves de la Chrétienté se rassemble au son des cors de guerre. La voix du vieillard s’émeut. C’est qu’elle est tombée Jérusalem, c’est qu’Édesse a été profanée, Antioche pillée, Constantinople forcée, la Chrétienté brisée, foulée aux pieds par les hordes sataniques de Luther le porc moine, Voltaire le philosophe de la fange, Robespierre l’ange de la Révolution, Bonaparte l’ogre corse, Bismarck le chancelier inflexible et Clémenceau le lion anticlérical ; tous les avatars de l’homme qui se fait Dieu. La voix s’est tue. Elle laisse place à un murmure. Qui devient clameur. Le cri d’une jeunesse qui se dresse et ne veut pas mourir. Hier, devant l’autel enténébré, profitant de l’hospitalité de son frère d’armes du Temple, un jeune chevalier a promis de mourir debout, d’offrir ses forces et son foyer au Christ. Une jeune princesse arabe au front fier, à la beauté altière, l’a fait lieutenant de Dieu sur terre il y a quelques instants. Du « oui » tombé de ses lèvres comme autrefois de celles de notre mère du Ciel, un espoir a surgi. À chaque fois qu’une princesse de sang royal, l’une de ces filles que Dieu s’est choisi depuis que du Cœur de son Fils est née son Église et que de ce Cœur elle peut répandre les flots de la grâce par les sacrements, faisant de pauvres mortels les familiers de Dieu, à chaque fois que l’une des femmes donne sa foi à l’un de ces chevaliers, alors la Terre et les Enfers tremblent, car Dieu s’associe deux êtres. Dans ce nouveau buisson ardent Dieu se renouvelle, les foyers sont la jeunesse de Dieu, cette jeunesse de la fidélité, qui veut conserver pour ses fils la croyance humaine et la liberté de l’homme intérieur. La flamme baisse, ses lueurs se reflètent sur les visages. Un chant se fraye des cœurs vers le ciel. Une mâle détermination a laissé la place à l’exaltation un instant entrevue. La gravité de l’âge d’homme a pris le pas sur les rêves de l’adolescence, le panache volontaire sur l’insouciante témérité. Il est venu le temps du labeur, du combat et de l’Amour. Il est venu le temps de… l’Espérance.
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Et à ne pas oublier :Hélie Denoix de Saint Marc, « Que dire à un jeune de 20 ans », récité par Jean Piat
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Août 2022
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