Textes
Des grands classiques, des moins connus, des inédits...
Extrait de la Cinéscénie du Puy du Fou sur la mémoire et l'héritage... Je n'ai jamais reçu de nom. Ils m'appellent le vieux galopin.
Je ne me suis jamais perdu. Ils m'appellent le vieux cherche-pain. Je couche dans les barges des granges, ou sur les berges des fossés. Je traîne mes souvenirs avec mon baluchon humide, et je colporte les nouvelles de métairies en métairies. Jamais je ne suis attendu, mais jamais ils ne sont surpris. Et je porte avec moi l'histoire, à tous les enfants du pays. Dès qu'une lumière me fait signe, la nuit arrête mon chemin. Pour une soupe et pour la veillée, la porte s'ouvre à l'amitié ; ils me reconnaissent toujours, et ma place est toujours la même. Je suis la mémoire du soir. Debout près de la cheminée, j'ouvre les mains ; je prends une petite poignée de feu qui me dégourdit la mémoire. Je suis le marchand de quenouilles qui file le temps, et se promène pour vendre des poupées de lin dans le pays du Puy du Fou. Et je passe ma vie à filer mon chemin de villages en villages, vers un autre foyer ; écoutant les sentiers qui ne retiennent plus leurs vieilles confidences ; écoutant la pénombre qui gagne les buissons, les vieux chênes têtards creusant dans leurs souvenirs. Je marche avec les siècles, de familles en familles, vers d'autres fuseaux. Et je marche, toujours, dans mes sabots trop lourds. Mon très vieil almanach et mes poupées de lin me tiennent compagnie, me soutiennent l'humeur. Ce soir, je veux aller jusque chez Maupillier auprès du vieux château qui s'élance là-bas. Je chanterai la chanson de tous les Maupillier, sur cette terre de géants et de genêts en fleurs... Les veillées du Puy du Fou commencent toujours par un long silence. On m'assoit sur le banc du foyer, on attends que je parle. Alors, en fouillant dans mon sac à nouvelles, je tourne le regard. A toi, la Mère, mes dernières poupées pour finir ton ouvrage, et les dernières rumeurs du bourg qui courent sur le pays. A toi, le Grand-Père, la chronique des battages, quelques secrets de garde-champêtre, et le vin tout juste tiré. A toi, le Petit Jacques, des histoires d'homme. Des ruines qui habitent des songes de lumière ; la parole des Anciens accrochée à quelques médaillons jaunis ; des petits qui grandissent et qui baissent la tête sous la croix de chaux vive ; et les pas répétés qui creusent le seuil du logis. Le signe de la femme qui tend le pain ; le pain blanc, le pain noir ; la fête et puis la mort ; le même prénom gravé au couteau sur la table de famille. Pourquoi toujours le même prénom ? Jacques... Jacques le Grand-Père, Jacques le Conscrit, toi, le Petit Jacques... Chacun fait son temps. Ceux qui reviennent, ceux qui s'en vont. On regarde le temps qu'il fait, on ne voit pas le temps passer. Chacun prend sa peine derrière sa charrue. Dans la même lignée. De la veille au matin, les mêmes amours de borderie depuis le Moyen Âge. Les mains qui se rejoignent, et le doigt de la mère qui vient refermer les mêmes lèvres. C'est la grande coulée des siècles. Avec un seul Jacques devant l'histoire, pour tous les Maupillier.
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Et à ne pas oublier :Hélie Denoix de Saint Marc, « Que dire à un jeune de 20 ans », récité par Jean Piat
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Août 2022
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