Textes
Des grands classiques, des moins connus, des inédits...
La patrouille est le centre de la vie scoute. Sous des milliers de visages, la bande d'adolescents tend à s'instaurer comme une sorte d'unité sociale de transit entre le cocon familial éclaté et la Société-réseau. Éphémères ou durables, elles indiquent, dans nombre de cas, la tension extrême à laquelle sont soumis les jeunes de ce temps. […] Baden-Powell eut le mérite, dès le début du siècle, d'avoir senti tout le parti positif qu'on pouvait tirer d'un phénomène croissant depuis la disparition de la tribu ou l'ébranlement de la famille, et porté à l'incandescence par la société actuelle. Sa patrouille scoute devient un instrument pédagogique original, beaucoup plus qu'un moyen d'autoprotection, d'assouvissement et de défoulement.
Les garçons s'y regroupent par communauté d'intérêts, affinités, goûts plus ou moins précis, mais d'une manière différente de celle qui rassemble les « Chaussettes noires » une équipe de foot, ou les «mecs bronzés des souterrains de Newhaven »... Elle s'apparente mieux aux équipages des grands avions, aux goums sahariens ou groupes prospecteurs du pétrole, qu'aux jolies bandes du coin de la rue. Elle a un but mental. Elle n'est pas éphémère comme les bandes qui se constituent pour une action, un jeu, un coup ou une technique à exploiter. Elle n'est pas occasionnelle, elle a un sens et une fin. Elle se reproduit. La Patrouille a des buts avoués et lointains, une règle de jeu à priori, un milieu physique d'exercice, une orientation civique, un Engagement. Ses buts sont ceux du scoutisme mondial, sa règle, son engagement, ceux des scouts du monde entier. […] On y vient pour deux raisons et trois instincts, par goût d'aventure, passion de jeux ou amitié, on y vient par désœuvrement, on y vient pour ne pas être seul, on y vient pour « devenir scout ». […] Elle a tous les avantages de la bande sans en avoir les inconvénients, une personnalité peut y croître sans en être éjectée, la communauté s'y développe sans anéantir l'individu. Quatre critères la caractérisent : elle est naturelle, mais construite, elle a un CP responsable, mais non dictateur, elle dispose d'autonomie, mais aussi de lien, elle se meut dans l'orbite d'un scoutmestre. Une patrouille peut parfaitement naître d'une bande naturelle déjà cohérente, et qui s'engouffre dans le scoutisme, comme un seul homme, avec armes et bagages. Mais dès l'instant qu'elle devient Scoute, une bande de rue, d'immeuble ou de village admet de s'ouvrir, de recruter, de ne pas éterniser les garçons au point fixe. Elle devient créatrice. Les CP changent, tous les 15 à 18 mois d'autres surgissent, sans que la Patrouille en soit affectée. […] Les garçons choisissent leur patrouille et la patrouille choisit ses scouts. Les renflouages de patrouilles en dérive, par prélèvements d'effectifs, ne réussissent que s'ils sont compris et voulus par les garçons eux-mêmes. L'autonomie de la patrouille est une condition d'existence, d'euphorie et de dynamisme. La Patrouille a ses activités, sa devise, ses secrets, ses chahuts, son fanion, ses couleurs, son foulard, ses insignes. Elle dispose d'un matériel qu'elle entretient, transforme et améliore ou casse. Elle a son originalité, ses défauts, son mauvais caractère, et ses valeurs. La vie scoute se joue presque entièrement en patrouille ; réunions, sorties, camps, service. Les conseils de patrouille facilitent l'organisation, le gouvernement, l'équilibre. La patrouille est l'unité opérationnelle du scoutisme. […] Responsable ne signifie pas caïd. Le CP est un scout de la bande, le meilleur, mais il n'est point le moraliste tout dévoué, exemplaire et admiré. Sa responsabilité est aussi précise que les buts et les dimensions du scoutisme. Il anime et gouverne la patrouille dans le sens des buts, il l'entraîne dans l'aventure à cinq dimensions. C'est net. Il est démocrate et responsable. […] Si le conseil de patrouille permet à chacun de s'exprimer, de contrer, de montrer initiative et originalité, il n'en reste pas moins que l'éducation sociale exige qu'on écoute avant de parler, que l'on tienne sa place avant de juger de celle des autres, qu'on montre quelque capacité avant de briguer les commandements. L'exercice des responsabilités singulières et précises est l'une des conditions de la croissance mentale et de l'accès à la maturité. La responsabilité du CP est, chez nous, sans ambiguïté. Elle est un moyen exceptionnel de formation de la générosité, de la conscience, de l'imagination, du sens missionnaire, de l'initiative. De même que la Patrouille fait le pont entre individualité et groupe, le Scoutmestre et l'Aumônier assurent, en tous les domaines, le transit d'adolescence à prématurité. Ils sont non seulement responsables de la définition permanente du scoutisme et de son aire d'exercice, mais de la synthèse constante entre vie de patrouille et éducation personnelle, vie scoute et réalité quotidienne. Ils ne peuvent en aucun cas se contenter de jouer les arbitres de touche, les photographes ou les témoins, ils animent le « système des patrouilles ». La patrouille est une bande mais sensée, elle est animée par un CP responsable, mais dans l'orbite d'une scoutmaîtrise qualifiée. Elle est autonome mais reliée, maîtresse de soi et bien décontractée. Elle navigue sur repères bien nets : la loi, les buts. Elle discute à en perdre le souffle et agit d'un même cœur. On ne gagnerait rien à la dissoudre, sous prétexte d'efficacité, dans des systèmes plus collectifs.
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Et à ne pas oublier :Hélie Denoix de Saint Marc, « Que dire à un jeune de 20 ans », récité par Jean Piat
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Août 2022
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