Textes
Des grands classiques, des moins connus, des inédits...
Il a sauvé Notre-Dame de Paris à la tête de ses hommes... Interview D'après une lettre « Socle », publiée par Gens de Confiance. Avez-vous le sentiment que de plus en plus de nos concitoyens éprouvent des difficultés à surmonter leur peur ?
Je dirais les choses autrement : le courage n’a pas disparu, fort heureusement – et je crois en avoir largement témoigné dans mon livre, à l’aide d’exemples vécus aux côtés d’authentiques héros du quotidien, des anonymes dont l’abnégation spontanée fait honneur à l’humanité. Ce que je regrette, en revanche, c’est que notre société ne mette pas davantage en avant cette valeur cardinale qu’est le courage, essentielle à la vie en société. Qu’est-ce que le courage, au fond ? Aristote en a donné la meilleure définition possible en disant que c’est le juste milieu entre la peur et l’audace. Mais quand, depuis des années, on fait du « principe de précaution » l’alpha et l’oméga du gouvernement des hommes, il ne faut pas s’étonner que le curseur de l’opinion se rapproche davantage de la peur que de l’audace. Qu’on me comprenne bien : je n’ai rien, en soi, contre le « principe de précaution ». Il doit impérativement s’imposer dans des domaines comme l’écologie, la recherche scientifique, les manipulations du vivant, bref tout ce qui engage l’avenir et requiert du recul. Mais en cas d’urgence, il stérilise le jugement. Le refus du risque débouche sur la diffusion de la peur. Trente ans de pratique du commandement m’ont convaincu d’une évidence : le courage, comme la peur, sont aussi contagieux qu’un virus et se répandent aussi vite qu’un incendie. Vous voulez dire que la crise de confiance que nous traversons est d’abord une crise de leadership ? Absolument ! Quand les citoyens ont moins confiance dans la parole de leurs représentants, toutes tendances politiques confondues, ils vont chercher ailleurs des raisons de se rassurer... et, plus souvent encore, d’avoir peur ! Dans les réseaux sociaux, par exemple, qui diffusent le doute, du plus légitime au complotisme le plus délirant... Comme le principe de précaution, les réseaux sociaux ont leur utilité, mais comment ne pas voir qu’ils renforcent l’individualisme – « j’ai mon avis et je le partage » –, ce qui ne facilite pas la confiance dans l’autre, sentiment nécessaire à la recherche du bien commun... Or qu’attend-on de ceux qui, censément, en ont la charge, que ce soit à l’échelon national ou dans le cadre d’une entreprise ? D’être en capacité de décider. Dans la vie de la cité comme dans la société militaire, il n’y a de légitimité que dans la décision. Sans exemplarité du chef, dites-vous, pas de confiance, donc pas d’émulation... Rien ne remplace l’expérience. Celle des opérations auxquelles j’ai participé m’a certainement aidé à comprendre ce qu’était le vrai courage. Qui n’a rien à voir avec la témérité, souvent contre-productive. Mais comme pompier, je ne citerai qu’un exemple : la terrible explosion de la cité Trévise, en 2019 à Paris. Un cas d’école. Quatre immeubles partiellement détruits, dont trois qui menacent de s’effondrer, deux pompiers tués, un autre porté disparu quand j’arrive sur les lieux, une trentaine de blessés graves à évacuer dans la demi-heure. Faut-il tenter de sauver le pompier dont on n’est pas sûr qu’il soit encore vivant, en risquant d’autres vies, ou faut-il baisser le rideau ? Mon expérience des crises m’a aussi convaincu qu’on ne gagne rien à faire prendre par d’autres les décisions qu’on est seul à pouvoir assumer en connaissance de cause. Deux fois, dans ma vie de soldat, alors que j’attendais un ordre, on m’a dit en évitant de me regarder dans les yeux : « Faites pour le mieux ». Alors pas de temps à perdre avec ceux qui fuient leurs responsabilités. J’ai pris les miennes. J’ai eu raison. J’aurais pu avoir tort. Mais même dans ce cas, j’aurais, je pense, gardé la confiance de mes hommes. Le courage, c’est de savoir décider à l’instant « T ». Y compris en choisissant entre les blessés qu’on peut sauver et ceux en faveur desquels, on le sait d’instinct, non seulement toute action serait vaine, mais surtout, compromettrait la survie des autres... J’ai malheureusement vécu cela lors des attentats de novembre 2015. Quels conseils le sauveur de Notre-Dame donnerait-il à ses contemporains pour qu’ils retrouvent cette confiance ? Celui de ne jamais abdiquer cet amour de la vie, qui passe par l’acceptation du risque, sans lequel rien ne se crée ! Conserver aussi, et c’est intimement lié, le sens du collectif, la confiance dans la capacité de chacun à contribuer au bien commun, en prenant, pourquoi pas, exemple sur les pompiers qui mettent leurs vies en danger pour en sauver d’autres. Le repli sur soi n’est jamais une solution, notamment en période de crise ou chacun a besoin de tous et inversement. S’engager pour des causes qui nous dépassent est le meilleur moyen d’accepter le tragique de l’Histoire tout en refusant qu’il devienne une fatalité. La confiance dans l’avenir ne se construit que dans l’action, en se demandant ce qu’on peut faire pour changer les choses au lieu de se lamenter sur ce qui va nous arriver. Car si, dans ma vie professionnelle, j’ai côtoyé beaucoup de catastrophes, j’ai aussi et surtout rencontré des hommes et des femmes qui, contrairement à moi, n’avaient pas « signé » pour prendre des risques et qui, cependant, en ont pris tout autant sans jamais être décorés ou cités en exemples... C’est en pensant à eux que j’ai voulu faire l’éloge du courage. Ce courage ordinaire qui permet de regarder l’avenir en face.
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
Frère scout, partage Textoscout :
Catégories
Tous
Et à ne pas oublier :Hélie Denoix de Saint Marc, « Que dire à un jeune de 20 ans », récité par Jean Piat
Tous les textes :
Août 2022
|