Textes
Des grands classiques, des moins connus, des inédits...
célèbre trait d'esprit écrit par un célèbre humoriste. Vous me dites, Monsieur, que j’ai mauvaise mine,
Qu’avec cette vie que je mène, je me ruine, Que l’on ne gagne rien à trop se prodiguer, Vous me dites enfin que je suis fatigué. Oui, je suis fatigué, Monsieur, et je m’en flatte. J’ai tout de fatigué : la voix, le cœur, la rate, Je m’endors épuisé, je me réveille las, Mais, grâce à Dieu, Monsieur, je ne m’en soucie pas. Ou, quand je m’en soucie, je me ridiculise. La fatigue souvent n’est que vantardise. On n’est jamais aussi fatigué qu’on le croit ! Et quand cela serait, n’en a-t-on pas le droit ? Je ne vous parle pas des sombres lassitudes Qu’on a lorsque le corps, harassé d’habitude, N’a plus pour se mouvoir que de pâles raisons… Lorsqu’on a fait de soi son unique horizon… Lorsqu’on a rien à perdre, à vaincre, ou à défendre… Cette fatigue-là est mauvaise à entendre ; Elle fait le front lourd, l’œil morne, le dos rond. Et vous donne l’aspect d’un vivant moribond… Mais se sentir plier sous le poids formidable Des vies dont un beau jour on s’est fait responsable, Savoir qu’on a des joies ou des pleurs dans ses mains, Savoir qu’on est l’outil qu’on est le lendemain, Savoir qu’on est le chef, savoir qu’on est la source, Aider une existence à continuer sa course, Et pour cela se battre à s’en user le cœur… Cette fatigue-là, Monsieur, c’est du bonheur. Et sûr qu’à chaque pas, à chaque assaut qu’on livre, On va aider un être à vivre ou à survivre ; Et sûr qu’on est le port et la route et le quai, Où prendrait-on le droit d’être trop fatigué ? Ceux qui font de leur vie une belle aventure, Marquant chaque victoire en creux, sur la figure, Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus Parmi tant d’autres creux, il passe inaperçu. La fatigue, Monsieur, c’est un prix toujours juste, C’est le prix d’une journée d’efforts et de luttes. C’est le prix d’un labeur, d’un mur ou d’un exploit, Non pas le prix qu’on paie, mais celui qu’on reçoit. C’est le prix d’un travail, d’une journée remplie, C’est la preuve, Monsieur, qu’on marche avec la vie. Quand je rentre la nuit et que ma maison dort, J’écoute mes sommeils, et là, je me sens fort ; Je me sens tout gonflé et mon humble souffrance, Et ma fatigue alors est une récompense. Et vous me conseillez d’aller me reposer ! Mais si j’acceptais là, ce que vous me proposez, Si j’abandonnais à votre douce intrigue… Mais je mourrais, Monsieur, tristement… de fatigue.
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
Frère scout, partage Textoscout :
Catégories
Tous
Et à ne pas oublier :Hélie Denoix de Saint Marc, « Que dire à un jeune de 20 ans », récité par Jean Piat
Tous les textes :
Août 2022
|